I. Schmidlin: La politique suisse d'asile

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Titel
La politique suisse d'asile à la dérive. Chasse aux "abus" et démantèlement des droits.


Autor(en)
Schmidlin, Irène; Tafelmacher, Christophe; Küng, Hélène
Erschienen
Lausanne 2006: Editions d'en bas
Anzahl Seiten
110 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Juliette Müller

Cet ouvrage, qui regroupe différentes contributions rassemblées à l’occasion des vingt ans de SOS-Asile Vaud, dresse le bilan de deux décennies de démantèlement du droit d’asile en Suisse, mais également de vingt ans de luttes et d’expériences solidaires, en particulier en Suisse romande.

Plusieurs militants du droit d’asile et intellectuels évoquent ainsi les dérives de la politique d’asile et les luttes menées en Suisse depuis 1985, tout en apportant une réflexion plus générale sur les enjeux de ce démantèlement. Une autre partie est constituée de témoignages de réfugié·e·s, qui relatent leurs parcours de vie, marqués par la souffrance et l’incompréhension, et leurs expériences propres de la politique d’asile menée par les autorités suisses 1).

Dans la première partie, on nous rappelle ainsi les différentes «innovations» qui, au gré des multiples révisions de la loi sur l’asile de 1979, ont transformé celle-ci en instrument de dissuasion et de renvoi, et non plus en instrument de protection, ceci au mépris des droits fondamentaux des personnes et des conventions internationales. Parmi celles-ci, l’instauration d’une détention administrative en vue du refoulement d’abord de trente jours puis de douze mois, la retenue de 10% sur le salaire des personnes qui travaillent pour financer un probable renvoi, l’extension de l’interdiction de travailler, l’introduction des procédures de non entrée en matière (NEM), qui interdisent l’accès à la procédure d’asile pour les personnes qui en sont frappées, notamment celles qui n’ont pas de papiers d’identité ou qui proviennent d’un «pays déclaré sûr», le retrait de l’assistance sociale de ces mêmes personnes, la réduction drastique des délais de recours, etc. Notons par ailleurs que, peu après la parution de cet ouvrage, l’acceptation des nouvelles lois sur l’asile et les étrangers le 24 septembre 2006 a confirmé cette tendance, en introduisant une série supplémentaire de restrictions dans le droit d’asile et des étrangers.

Les conséquences (in-)humaines et l’absurdité de ces mesures sont dénoncées à travers de nombreux témoignages et exemples, tout au long de l’ouvrage. Parmi les cas les plus frappants, celui des personnes frappées de NEM: des femmes et des hommes contraints à vivre dans une extrême précarité, en dessous des minimums accordés aux Suisses et Suissesses, mis à la rue dans le but de les pousser à quitter le pays, alors même que souvent la Suisse ne parvient pas à obtenir les papiers nécessaires pour cela, ainsi qu’encore de nombreux autres exemples. L’ensemble de la politique menée par les autorités suisses est du reste dénoncée comme menant à une impasse. En effet, de nombreux ordres de départ sont prononcés, donnant l’illusion d’une maîtrise de l’immigration liée à l’asile par les autorités. On apprend toutefois que, depuis dix ans, le nombre de départs réellement contrôlés est inférieur à 50%, et descend même à 30% pour les années les plus récentes, la plupart des personnes disparaissant et venant probablement grossir les rangs des «sans-papiers».

Au-delà des évolutions législatives, plusieurs contributions, s’appuyant également sur des exemples concrets, dénoncent l’arbitraire et l’absurdité dans le traitement des demandes d’asile par les autorités fédérales. Ainsi, Claude Calame donne l’exemple d’un réfugié auquel l’asile a été refusé, bien que des traces de torture soient bien visibles sur son corps, puis le rejet de son recours, sous prétexte que les frais administratifs auraient été payés avec un jour de retard (!). Christophe Tafelmacher, qui raconte ses débuts en tant que militant du droit d’asile, relève quand à lui, déjà en 1987, que « la réalité de l’asile, c’est que 85% des demandes sont refusées, et ce chiffre ne peut être obtenu que par la mauvaise foi généralisée, le formalisme maniaque, les raisonnements douteux, etc. En fait, la seule chose qui compte, c’est que 85% des gens n’aient pas l’asile. […] On ne cherche pas à comprendre: une erreur dans les dates, une faute d’orthographe dans un document, et tout le récit est considéré comme faux…» (p. 22).Ainsi, la pression à produire des décisions négatives l’emporte sur les droits des personnes.

Une partie de l’ouvrage est toutefois également consacrée aux nombreux mouvements de solidarité nés face à cet arbitraire et à ces injustices. C’est le cas entre autres de SOS-Asile, créé en 1985, mais également de «En 4 ans on prend racine» et du mouvement dit des «523», dans le canton de Vaud (tous deux relatés par la contribution d’Yves Sancey), ainsi que de nombreux autres mouvements, présentés notamment dans un bref résumé en fin d’ouvrage. Des mouvements politiques, mais aussi des expériences humaines et solidaires, dont la richesse est évoquée à plusieurs reprises. Comme en témoigne Leyla Chammas, réfugiée libanaise, «on ne réussissait pas avec les États, mais on réussissait avec les gens» (p. 64).

L’ouvrage dans son ensemble constitue du reste un appel à la mobilisation, contre l’indifférence collective. Plusieurs des auteurs rappellent à ce titre que le démantèlement du droit d’asile n’est pas un phénomène isolé. Sous le couvert de la «lutte contre les abus», c’est en effet l’ensemble des prestations assurées par l’État au profit des plus défavorisés, qu’ils soient chômeurs·euses, invalides ou bénéficiaires de l’aide sociale, qui est attaqué, celui-ci se transformant progressivement en un État policier, au détriment de sa fonction de régulation sociale. C’est donc bien les droits de toutes et tous qui sont menacés par cette entreprise de démantèlement, dont la politique d’asile ne constitue qu’un laboratoire. Cet ouvrage nous invite à ne pas y rester indifférent·e·s.

1) Ces témoignages ont pour la plupart été récoltés par différentes associations oeuvrant dans le domaine de la défense du droit d’asile. Certains sont également tirés d’ouvrages déjà existants tels que celui de Michael Walther, Und es sind Menschen auf der Flucht. Zwölf Geschichten von Asylsuchenden mit «Nicht-Eintretens-Entscheid» (NEE), Lucerne, Lex Verlag, 2005.

Citation:
Juliette Müller: compte rendu de: Irène Schmidlin, Christophe Tafelmacher, Hélène Küng, La politique suisse d'asile à la dérive. Chasse aux "abus" et démantèlement des droits, Lausanne: SOS-Asile, Editions d'en bas, 2006, 110 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 116, 2008, p.287-288.

Redaktion
Veröffentlicht am
15.04.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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